Inculquer les bases du commerce et de la consommation à de jeunes enfants peut sembler très difficile ou même impossible. C’est parce qu’on imagine un cours magistral alors que la vie se charge souvent de nous fournir des occasions d’apprentissage. Le jeu de la ville a été l’une de ces occasions.

Pour dire toute la vérité, ce sont mes enfants qui ont inventé ce jeu, pas moi. PetitePrincesse avait environ quatre ans et modelait de la pâte à sel que je lui avais préparée. À la question de FrèreAîné, elle a spontanément répondu qu’elle cuisinait du pain et des gâteaux.

– Tu es boulangère, PetitePrincesse? lui a-t-il dit, tout fier de connaître un mot qu’elle ne connaissait pas. Tu m’en donneras?

S’arrêtant de pétrir, elle l’a regardé le plus sérieusement du monde.

– Qu’est-ce que tu me donneras en échange?

FrèreAîné a fait le tour de la cuisine, puis du salon. Il a ramassé une des chaussures de sa petite sœur, l’a déposée sur son petit établi et a commencé à taper doucement dessus avec son petit maillet de bois.

– Je serai cordonnier et je réparerai tes chaussures!

PetitePrincesse a souri de toutes ses dents et m’a posé la même question.

– Je vais être couturière!

Je suis allée chercher mes boîtes de tissus, rubans et vieux vêtements. J’ai bricolé un tablier pour le cordonnier dans un tissu marron à l’aide de quelques nœuds et d’une ceinture. J’ai fabriqué une robe et une toque de la même façon, dans un grand tissu blanc, pour la boulangère. Enfin, je me suis assise avec une aiguille et du fil. Ça n’a pas pris de temps avant que nos échanges commencent : des gâteaux contre un foulard, un chapeau contre la réparation d’un talon. Nous venions d’inventer le jeu de la ville.

Avec le temps, nous avons fabriqué des pancartes et des enseignes pour nos commerces; nous avons ajouté de nouveaux métiers pour leur père (fabricant de jouets) et les amis. Après une année, notre ville occupait tout le salon et l’entrée et pouvait durer facilement deux ou trois heures.

Nous n’utilisions pas de monnaie, seulement des échanges de biens. Tout y était pour que le plaisir jaillisse : se déguiser, faire comme les adultes, négocier à sa guise (avec seulement de rares interventions des parents!). Pas d’analyse, pas de leçon, pas d’explication.

Et je vous assure que les discussions étaient très sérieuses : « Mais ça prend bien plus de temps fabriquer un jouet qu’un pain, quand même! » Ou encore « Oui, mais toi tu as beaucoup de chaussures; alors que moi je n’ai que quelques animaux de la ferme à t’échanger! » Sans qu’un seul mot soit dit sur la finance et le commerce, mes enfants ont parfaitement saisi l’idée d’échange équitable, de libre marché, de la valeur de la rareté.